16 septembre 2007, Place Nisour, centre de Bagdad, 17 civils irakiens sont tués et plus d’une vingtaine blessés dans une fusillade déclenchée par des employés d’une compagnie militaire privée basée aux États-Unis. Les agents de sécurité de la société Blackwater (devenue Academi) accusés d’avoir ouvert le feu escortaient un convoi diplomatique américain. Les enquêteurs du Federal Bureau of Investigation (FBI) ont conclu que les victimes de cette fusillade avaient été tuées de manière injustifiée et en violation des lois ¹. Alors que la plupart des ESP fonctionnent dans le respect de la loi et sans incidents, quelques moutons noirs ont fait les grands titres de la presse, jetant le discrédit sur l’ensemble du secteur. Et, comme on pouvait s’y attendre, la prestation privée de services de sécurité et militaires remet en question la conception classique du rôle de l’État-nation comme principal protagoniste dans les affaires militaires et garant de la sécurité physique de ses citoyens.
Le recours aux services d’entreprises de sécurité privées vise principalement la protection des personnes et des biens dans les pays où l’État ne parvient pas à assurer une protection suffisante, ou lorsqu’une situation de catastrophe naturelle ou de conflit exige un renforcement des mesures de sécurité. Dans bon nombre de ces cas très médiatisés, y compris dans celui de la fusillade de la place Nisour, les entreprises incriminées étaient mandatées par des gouvernements (en l’occurrence les États-Unis). Les gouvernements ne représentent cependant que le tiers des clients dans le secteur. Des organisations non gouvernementales, des entreprises privées (en particulier des sociétés exploitant des puits de pétrole, de gaz et des gisements miniers), des sociétés de transport, et même des organismes d’aide et de développement font également appel à des ESP pour protéger leurs personnels et leurs infrastructures sur le terrain. Dans les pays où les organes de gouvernance sont affaiblis et où les forces de l’ordre locales, telles que la police, ne sont pas en mesure d’assurer leur rôle de protection, il peut s’avérer nécessaire de recourir à des ESP.
Parce qu’elles interviennent souvent dans des zones de conflit, des régions dévastées par des catastrophes, ou des pays où l’État de droit et le maintien de l’ordre sont insuffisants, les activités des ESP sont à haut risque. Pour compliquer encore les choses, les services de sécurité privés sont recrutés à l’échelon international. L’ESP peut être basée dans un pays, engagée par des clients d’un autre pays, pour fournir des prestations dans un troisième pays... les employés étant eux-mêmes engagés dans d’autres pays encore. Quelle est alors la réglementation nationale applicable et comment la justice peut-elle être rendue en cas de violation des lois ?
Définir les bonnes pratiques
Toutes ces questions ont donné lieu à des réflexions menées à l’échelon international pour tenter de résoudre le problème. Par exemple, le Document de Montreux ² – du nom de la ville suisse où ont eu lieu les négociations – concernant les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés, et le Code de conduite international des entreprises de sécurité privées (ICoC) (voir Encadrés plus bas) ont établi des lignes directrices pour clarifier le cadre juridique et définir les meilleures pratiques qui encouragent les ESP et leurs clients à honorer leur engagement au regard du droit international humanitaire. En outre, à l’échelle nationale, la norme ANSI/ASIS.PSC.1, lancée en 2012, fournit des critères permettant d’établir, au moyen d’un audit, que les opérations d’une ESP atteignent les objectifs professionnels et de gestion des risques, sans porter atteinte aux droits de l’homme.
Comme l’explique Marc Siegel, Président d’un nouveau comité de projet ISO chargé d’étudier cette question, l’ISO/PC 284, « ces trois documents jettent les bases du cadre souhaité, mais il est urgent de disposer d’une Norme internationale qui aidera les ESP et leurs clients à apporter la preuve qu’ils engagent leur responsabilité en ce qui concerne le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, la prévention des actions illégales et l’usage excessif de la force ».
Le Document de Montreux
Lancé en coopération par la Suisse et le Comité inernational de la Croix-Rouge, le Document de Montreux a été rédigé en 2008. Il établit le cadre juridique dans lequel le secteur opère, clarifie les obligations au regard du droit international et de la législation nationale, et recommande des bonnes pratiques.
L’ISO/PC 284 a tenu sa première réunion à Montreux, en Suisse, en décembre 2013. (Le lieu a été choisi pour coïncider avec les travaux des groupes de travail sur l’ICoC et le Document de Montreux qui se déroulaient dans cette même ville.) Le comité prévoit d’élaborer une norme de système de management pour les ESP, en se basant sur le Document de Montreux et sur l’ICoC, pour aider les entreprises à prendre des mesures concrètes pour démontrer la conformité au Code.
Une Norme internationale de systèmes de management aidera les entreprises de ce type à gérer les risques associés à leurs opérations et, en définitive, à protéger les droits de l’homme. Aux dires de Siegel : « On ne peut nier que ces entreprises interviennent dans des situations très risquées ; il faut donc, en premier lieu, bien cerner ces risques et établir des plans d’action en conséquence. »
« Parmi les bénéficiaires de la norme figureront les collectivités directement concernées par les services de sécurité. La réflexion primordiale d’une entreprise de sécurité doit porter sur l’impact de sa présence sur les droits de l’homme dans ces communautés », ajoute Siegel, en mettant l’accent sur un autre groupe d’intérêt souvent oublié – les employés des ESP qui travaillent dans des situations à haut risque. « Quand une situation se dégrade, leur propre vie peut être en danger. Il est donc très important qu’ils soient bien préparés et sachent comment réagir si les choses tournent mal. »
La solution d’une Norme internationale, par définition d’application volontaire, n’est-elle pas trop « laxiste » pour un secteur dont l’incidence sur les droits de l’homme est aussi importante ? Des lois internationales rigoureuses et contraignantes ne seraient-elles pas plus adéquates ? À ces questions qu’il semble légitime de poser, Siegel répond qu’il faut être pragmatique : « une loi sévère est forcément difficile à faire appliquer. Le Document de Montreux clarifie la législation internationale relative aux droits de l’homme et au droit humanitaire qu’il s’agit de respecter dans ces situations, or l’application en est difficile, fastidieuse et coûteuse », explique-t-il. Par contre, une norme solide et rigoureuse, donnant lieu à une certification par tierce partie délivrée par un organisme compétent, aura l’avantage de compléter la panoplie déjà constituée pour aider ce secteur à améliorer sans cesse le niveau de ses prestations et ses garanties de responsabilité.
Une référence de bonne conduite
Quelles garanties de responsabilité ? En plus de les aider à appliquer les meilleures pratiques, une Norme internationale aidera les ESP à démontrer leur engagement par rapport aux attentes et aux lignes directrices internationales établies. En adoptant la norme, elles auront alors un avantage sur la concurrence et, en fin de compte, contribueront à relever le niveau des prestations d’ensemble. « Les entreprises peu scrupuleuses qui portent préjudice à l’ensemble du secteur seront ainsi amenées à disparaître », conclut Siegel.
Pour les clients et pour la société civile, la mise en œuvre d’une norme par une ESP est un élément rassurant qui montre que l’entreprise prend toutes les mesures nécessaires pour minimiser les risques et respecter les droits de l’homme. Le secteur démontrera ainsi un meilleur engagement face à ses responsabilités, estime Rebecca DeWinter-Schmitt, spécialiste des droits de l’homme et du droit humanitaire à la faculté de droit du Washington College, qui participe aux travaux de l' ISO/PC 284.
Une Norme internationale est un moyen d’établir ce qui est attendu des ESP au niveau international, explique DeWinter-Schmitt. Elle permettra à certains groupes de la société civile, en particulier ceux qui jouent le rôle d’observateurs et de gardiens de l’intérêt public, de disposer d’un cadre de référence pour établir la responsabilité des ESP qui, contrairement à leurs engagements, ne respecteraient pas les droits de l’homme.
La société civile pourra alors rappeler à l’ordre les clients des ESP qui se conduisent mal. Par exemple, les gouvernements, qui sont de grands clients des ESP, pourront utiliser la norme pour s’assurer que les ESP auxquelles ils ont recours mettent tout en œuvre pour protéger les droits de l’homme et minimiser les risques. S’ils ne le font pas, les représentants de la société civile seront en mesure de demander des comptes aux gouvernements qui ne respectent pas leurs responsabilités.
Appel à contribution
Code de Conduite international
Après la publication du Document de Montreux, le gouvernement suisse a convoqué une initiative multipartite sur un Code de conduite international (ICoC) des entreprises de sécurité privées. L’objet de ce Code est d’encourager la fourniture responsable de services de sécurité ainsi que le respect des droits de l’homme et du droit national et international, en conformité avec le Code.
Pour obtenir le résultat escompté, la Norme internationale doit être rigoureuse et fondée sur les principes énoncés dans le Document de Montreux et sur le Code ICoC, mais aussi, et surtout, elle doit être le fruit d’une collaboration multipartite.
Il est en effet indispensable que des groupes de la société civile, avec leurs spécialistes des droits de l’homme et leur expertise du droit humanitaire, soient activement impliqués dans l’élaboration de la norme. « Cette Norme internationale sera la première du genre à traiter des risques d’atteinte d’une industrie au respect des droits de l’homme, au travers d’une démarche de système de management. Il est important d’identifier les acteurs experts en matière de droits de l’homme et d’obtenir leur contribution », souligne DeWinter-Schmitt.
Mettant en avant l’expérience que la société civile en général est en mesure d’apporter aux travaux d’élaboration des normes, la spécialiste du Washington College précise : « La société civile jouera un rôle utile en décelant les éventuelles faiblesses des normes de système de management, et aidera à trouver des moyens d’améliorer la contribution de tous les acteurs concernés, d’accroître la transparence dans l’élaboration des normes, et de renforcer les mécanismes d’évaluation de la conformité. »
Un appel à contribution est donc ainsi lancé. Il est clair que les entreprises de sécurité privées ont un bel avenir devant elles. Avec des mandats dans tous les pays du monde, ce secteur a progressé rapidement ces dix dernières années, pour devenir un marché florissant qui se chiffre désormais en milliards. Il est donc urgent d’engager une réflexion plus cohérente et plus dirigée sur la question de la réglementation, afin de garantir la sécurité physique des populations civiles. Si vous êtes spécialiste en droit international humanitaire ou dans le domaine de la sécurité privée, et souhaitez prendre part à l’élaboration de cette norme, prenez contact avec le membre de l’ISO dans votre pays, qui vous donnera toutes les informations à ce sujet.
1) Horwitz, S., “New charges brought against former Blackwater guards in Baghdad shooting”, The Washington Post, 18 October 2013.
2) Titre complet : Document de Montreux sur les obligations juridiques et les bonnes pratiques pour les États en ce qui concerne les opérations des entreprises militaires et de sécurité privées opérant pendant les conflits armés, CICR, août 2009.